vendredi 12 février 2010

Des ronds dans l'eau...

200 millions de dollars, c'est le budget investi par les deux concurrents de cette 33ème édition de l'America's Cup. Vous me direz que, pour le tenant du titre Ernesto Bertarelli (Alinghi), dont la fortune est estimée à 8,2 milliards de dollards et son challenger Larry Ellison (BMW Oracle) qui pèse 27 milliards de dollars, ça n'est pas très cher payé pour conquérir le trophée qui récompense l'une des plus vieilles compétitions sportives. Le prix d'un rêve de gosse qui , selon la légende, permet à celui qui le réalise d'acquérir un supplément d'âme, un fragment d'éternité.
Le problème c'est que c'est aussi  le prix que ces deux milliardaires bouffis d'égo surdimensionné ont payé pour parvenir à dénaturer une épreuve qui représentait, depuis 160 ans ce qui se fait de mieux dans le monde policé, distingué et élégant de la voile ou, plus exactement, du yachting. C'est pour ces régates à un contre un sur des bateaux de même gabarit que d'autres tycoons de la finance comme JP Morgan, JD Rockefeller, H Vanderbilt, T Lipton, R Guardini ou  le baron Bich ont, eux aussi, dépensé des fortunes. Mais c'était une autre époque. Celle qui voyait des défis (syndicats) s'affronter lors d'une première phase qui déterminait quel challenger aurait le droit d'affronter le Defender (tenant du titre) dans une finale au meilleur des neuf manches. Les syndicats représentaient le plus souvent une nation, ce qui permettait à tous les passionnés des pays engagés de soutenir leur représentant  pendant toute la compétition qui pouvait durer plusieurs mois. Une belle époque qui s'est terminée en 2003, année qui voit Ernesto Bertarelli et Alinghi ramener le trophée en Europe après 152 ans d'absence. Mais le milliardaire suisse ne compte pas en rester là. Il se penche sur le curieux réglement de l'épreuve (The Deed of Gift) qui stipule que le tenant du titre est le maître du jeu, à savoir que , c'est lui qui fixe les règles du jeu. Bertarelli décide ainsi que l'édition suivante se déroulera en Europe. Il convainc le gouvernement espagnol d'investir 1 milliard d'euros pour équiper le plan d'eau de Valence. Vainqueur à nouveau en 2007, le Suisse découvre une autre incongruité dans le fameux Deed of Gift qui lui permet de désigner un unique challenger. Ce qu'il fait en choisissant pour un duel en trois manche un modeste club nautique espagnol. Une décision contestée par Larry Ellison, le patron d'Oracle qui obtient gain de cause auprès des tribunaux qui le désignent seul challenger officiel. Qu'importe, Bertarelli, toujours maitre du jeu décide que l'édition 2010 se déroulera aux Emirats Arabes Unis qui vont investir 120 millions d'euros pour commencer les travaux d'équipement du plan d'eau de Ras al-Khayma. Ellison saisit à nouveau la justice qui lui donne encore raison et c'est Valence qui récupère son bien. C'est également devant les tribunaux que se décide la taille des bateaux, deux monstres de 35 mètres avec des mâts hauts comme un immeuble de 17 étages. Un trimaran (USA 17) pour Oracle et un catamaran pour Alinghi capables l'un comme l'autre d'atteindre 40 noeuds (plus de 70 km/h !). Mais l'affaire ne s'arrête pas là. En janvier dernier Ellison repart à la charge et assigne son adversaire qu'il accuse d'enfreindre le règlement au motif qu'Alinghi est équipé de voiles qui n'ont pas été fabriquées en Suisse. Ces derniers répliquent en accusant les Américains de s'être inspirés d'un projet français pour concevoir leur bateau. Au total ces procédures auront coûté 44 millions de dollars.
Et dire que le Deed of Gift stipule que la Coupe de l'America doit être "un affrontement pacifique entre nations" !!!
Oracle a remporté la première régate. Si le challenger américain s'impose lors de la deuxième manche (prévue dimanche) il gagnera l'épreuve...sur l'eau car, de la barre de son vaisseau à la barre du tribunal, Ernesto Bertarelli a déjà prouvé qu'il n'y a qu'un pas qu'il n'hésitera pas à faire.